L’arpentage, la cartographie et la géographie dans la famille Taché au 19e siècle au Québec

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La famille Taché est bien connue au Canada français pour avoir vu naître Étienne-Paschal Taché (1795-1865), futur homme politique et deux fois premières ministres du Canada-Est, Alexandre-Antonin Taché (1823-1894), qui devient évêque de Saint-Boniface et Joseph-Charles Taché, lequel embrasse une carrière de médecin tout en s’adonnant au journalisme et à la littérature. Quatre membres de cette famille, au XIXe siècle, ont toutefois en commun d’avoir à un moment de leur carrière fait de l’exploration, de l’arpentage et du dessin cartographique. Ils appartiennent à deux branches différentes issues du mariage de Jean-Paschal Taché avec Marie-Anne Jolliet de Mingan, fille de Jean-Baptiste et petite fille du célèbre explorateur Louis Jolliet.

Paschal-Jacques (Pascal) Taché (1757-1830)

Paschal Jacques Taché, Huile sur toile de François Baillairgé, Musée National des Beaux Arts du Québec

Premier enfant issu du mariage de Jean-Paschal Taché et de Marie-Anne de Jolliet, Paschal Jacques Taché (dit Pascal Taché) s’intéresse très tôt au négoce des fourrures. Il suit d’une certaine manière les traces de son père, qui à l’époque de la Nouvelle-France s’était fait connaître comme un marchand prospère dans le secteur des pelleteries et de denrées de toutes sortes[1]. Avec son frère Charles, Pascal Taché réside dans les anciens Postes du Roi de la Côte-Nord appartenant depuis la Conquête à des marchands anglophones. A titre de commis, probablement pour John Gray, Thomas Dunn et William Grant, il s’adonne durant  22 ans au commerce des pelleteries dans les postes de Pointe-Bleue, Shékutimish (Chicoutimi) et Tadoussac.

Au cours de sa carrière à titre de commis, Pascal Taché acquiert avec son frère Charles de précieuses connaissances sur le territoire du Saguenay et de son réseau hydrographique. À la demande du gouvernement du Bas-Canada, en 1824, il utilise son savoir et son expérience pour la rédaction d’une description du Saguenay et de ses tributaires. Celle-ci sera publiée dans les Journaux de l’assemblée législative du Bas-Canada[2]. Les connaissances de Taché servent également à dresser une carte étonnante réalisée par Adolphe Larue, le 27 décembre 1825. Celle-ci sera publiée à quelques reprises dans les rapports gouvernementaux de l’époque[3]. Désormais connue sous le nom de carte Taché du Saguenay, elle sera maintes fois utilisée dans les décennies suivantes et appréciée à l’époque pour son exactitude[4].

À Kamouraska, Pascal Taché gagne en notoriété grâce à son élection comme député de Cornwalis (Kamouraska). Il conserve ce siège de 1798 jusqu’à son décès le 5 juin 1830. Notons qu’il épouse Marie-Louise Decharnay à Saint-Louis de Kamouraska, le 26 septembre 1785. Par cette union, il devient ainsi seigneur de Kamouraska. Son épouse lui donnera un seul fils, Paschal (1786-1833), qui sera père du tristement célèbre médecin de Kamouraska Louis-Pascal-Achille Taché (1812-1839)[5]. Pascal Taché a indirectement contribué au développement de la cartographie régionale. Lié à la connaissance du pays, ce domaine d’activité intéressera les enfants d’Étienne-Paschal Taché.

Portrait d’Eugène-Étienne Taché, Source BAnQ

Eugène-Étienne Taché (1836-1912)

Eugène-Étienne Taché (1836-1912) est bien connu pour avoir dessiné les plans du parlement de Québec et pour avoir forgé la devise du Québec : « Je me souviens ». Arpenteur, ingénieur civil et fonctionnaire, il a laissé une œuvre cartographique étonnante. Fils d’Étienne-Paschal Taché et de Sophie Baucher dit Morency, il poursuit un stage de trois ans auprès de l’architecte et arpenteur Frederick Preston Rubidge[6]. Admis en 1861 à la profession d’arpenteur-géomètre, Taché débute au Département des Terres de la Couronne. Il fera certainement honneur à son père qui avait été commissaire de ce Département en juin 1857 en remplacement de Joseph-Édouard Cauchon[7].

L’œuvre cartographique d’Eugène-Étienne Taché peut se diviser en deux catégories. La première, sans doute la plus importante, concerne des dizaines de cartes manuscrites qu’il dessine au sein du Département des Terres de la Couronne. Conservées à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), elles sont essentiellement relatives à l’arpentage et portent entre autres sur des lots de cadastres, des lots de grève et de cours d’eau. La seconde catégorie est relative aux cartes imprimées par le gouvernement de la province de Québec dont Taché est l’auteur. Celles-ci couvrent soit des parties ou la totalité de l’écoumène de la province de Québec. Elles sont produites entre 1861 et 1880. L’un des corpus cartographiques les plus intéressants qu’il réalise est en lien avec la publication d’une œuvre majeure de Stanislas Drapeau sur l’état de la colonisation dans le Bas-Canada entre 1851 et 1861[8]. Notons que la fille de Stanislas Drapeau, Maire-Léda épousera à Ottawa, le 10 septembre 1875, Joseph-Charles Taché, fils de l’homme politique et écrivain Joseph-Charles Taché.

Eugène-Étienne Taché dessine donc six petites cartes régionales qui accompagnent l’étude de Stanislas Drapeau[9]. Son travail l’amène également à collaborer étroitement à la participation canadienne du Congrès international de géographie de Venise en 1881.  Quatre de ses œuvres cartographiques sont d’ailleurs présentées dans le cadre d’une exposition organisée lors de ce congrès[10]. Son travail l’amène à faire partie de l’Association des arpenteurs-géomètres fédéraux en 1884[11]. En dehors de ses activités professionnelles, il se fait connaître comme dessinateur, historien et héraldiste. On lui doit d’avoir dessiné les plans architecturaux de plusieurs édifices publics de la ville de Québec. Décédé le 13 mars 1912, à Québec, Eugène-Étienne Taché avait épousé le 18 juillet 1859 à Québec Olympe-Éléonore Bender, puis en seconde noces, le 22 octobre 1879, Clara Juchereau Duchesnay.

Louis-Jules-Émile Taché (1844-1897)

Jules Taché est l’un des membres les moins connus de la famille Taché. Frère d’Eugène-Étienne Taché, son parcours professionnel l’amène vers la cartographie et la géographie. Après ses études au séminaire de Québec et au collège des Jésuites de Montréal, il devient arpenteur-cartographe et dessinateur en chef au sein du ministère des Terres et Forêts de la province de Québec. Dans sa vie professionnelle, Jules Taché se fait connaître comme un bon cartographe. Lors du congrès de géographie de Venise de 1881, une de ses cartes régionales orne une pièce du palais royal de la place Saint-Marc. Entre 1883 et 1895, il dessine une série importante de six cartes régionales de la province de Québec; également des cartes manuscrites sur l’ensemble du Dominion réalisée en collaboration avec François-Xavier Genest. Ces cartes constituent d’excellents outils pour le repérage des cantons, des municipalités et du réseau hydrographique de ces régions. Dans ses loisirs, Jules s’adonne à l’art pictural. Son œuvre difficile à connaître et à repérer comprend des copies de toiles connues représentant des mousquetaires, mais aussi des paysages de la Côte-du-Sud, la région qui l’a vu naître[12].

Jules Taché est décédé à Québec le 19 mars 1897. Son corps a cependant été inhumé au cimetière de la paroisse Saint-Thomas de Montmagny. Celui-ci avait épousé à la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Québec, le 2 septembre 1867,  Marie-Anne-Jeanne Bender, fille de Prosper Bender. De ce mariage naissaient cinq enfants.

Extrait d’une carte dressée par Louis Jules Émile Taché, 1893, BANQ, Numérique

Jules-Louis-Alexandre Michel (Alexandre-Michel) Taché (1871- ?)

On en sait peu sur Alexandre-Michel Taché. Né à Québec le 29 septembre 1871 et issu du mariage de Jules Taché et de Jeanne Bender, il suit les traces de son père dans le secteur de la géographie et de la cartographie. Il devient effectivement dessinateur géographe au Département de la Colonisation et des Mines de la province de Québec[13]. Son œuvre cartographique est importante. Jusqu’en 1908, il dresse des cartes régionales du Québec. Celles-ci se rapprochent beaucoup de celles de son père. Elles gagneraient d’ailleurs à être mieux connues par les historiens, Elles situent des hameaux aujourd’hui disparus et sa valeur de témoignage est importante en raison des nombreux toponymes que l’on y trouve.

Des cartes signées par Alexandre-Michel Taché, mentionnons celle des régions aurifères de la province de Québec réalisée en 1898 avec le géologue et responsable du Bureau des Mines de la province de Québec Joseph Obalski (1852-1915). Celle-ci ne manque d’ailleurs pas d’intérêt. Les auteurs situent les mines d’or et d’argent sur le territoire du Québec[14]. A.M. Taché a également laissé deux cartes historiques assez intéressantes. L’une d’elles représente la bataille des Plaines d’Abraham du 13 septembre 1759. L’autre la bataille du 28 avril 1760. Elles sont conservées aux Archives du Séminaire de Québec. Nous ignorons toutefois dans quel contexte elles ont été produites. Enfin, soulignons qu’Alexandre-Michel Taché, avait épousé le 18 octobre 1897 à Québec Rosalie-Virginie Casgrain, fille de Philippe-Baby Casgrain, avocat et ancien député de L’Islet. De ce mariage naissaient quatre enfants.

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Quelques membres de la famille Taché ont joué un rôle appréciable dans l’histoire de la cartographie et de l’arpentage au Québec. Ceux-ci ont le plus souvent opéré dans un cadre gouvernemental. Eugène-Étienne, Jules et Alexandre-Michel Taché ont formé des familles ayant touché de loin ou de près à la connaissance du territoire, un aspect qui n’avait d’ailleurs pas manqué d’être essentiel dans les activités de leur ancêtre commun Jean-Paschal Taché.

Cet article corrigé et augmenté est d’abord paru dans la revue L’Ancêtre de la Société de généalogie de Québec, L’Ancêtre, vol. 32 (2006), p. 329-331. (Prix de la meilleure étude de la revue L’Ancêtre de la Société de généalogie de Québec pour 2005-2006)

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[1]  Michel Paquin.« Taché (Tachet), Jean (Jean-Pascal) », Dictionnaire biographique du Canada. Version en ligne. http://biographi.ca/fr (Site visité le 25 février 2006)

[2] Journaux de l’Assemblée législative du Bas Canada, Appendice R. A (1824) (Copie conservée à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BANQ) centre de Québec.

[3] Rapport d’un comité de la Chambre d’Assemblée sur l’opportunité d’ouvrir des chemins de colonisation dans la prov de Québec, ayant siégé pendant l’année 1827. s.l., s.éd., 1827, 69 pages.

[4] François Pilote. Le Saguenay en 1851 : histoire du passé, du présent et de l’avenir probable du Haut-Saguenay au point de vue de la colonisation. Québec, s.éd., 1852, p.51-52.

[5] L’écrivaine Anne Hébert s’est inspirée du destin de cet homme pour écrire son célèbre roman Kamouraska en 1970.

[6] Lucie K. Morisset et Luc Noppen. « Taché, Eugène-Étienne », Dictionnaire biographique du Canada, Vol XIV, de 1911 à 1920. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1998, p. 1074.

[7] Pour en savoir davantage, on consultera Yves Hébert. Étienne-Paschal Taché (1795-1965), Le militaire, le médecin, l’homme politique. Québec, Les Éditions GID, 2006.

[8] Stanislas Drapeau. Études sur les développements de la colonisation du Bas-Canada depuis dix ans : (1851 à 1861) constatant les progrès des défrichements, de l’ouverture des chemins de colonisation et du développement de la population canadienne française [cartes dessinées par E.E. Taché]. Québec, Typographie de Léger Brousseau, 1863. 593 pages.

[9] Cartes [titre des cartes] préparées pour les études sur la colonisation du Bas-Canada depuis dix ans (1851-1861). Québec, s.éd., 1863. (Exemplaires conservées à la Cartothèque de l’Université Laval)

[10] Faucher de Saint-Maurice. La province de Québec et le Canada au troisième Congrès international de géographie de Venise, septembre 1881. s.l., s.éd., 1882, p. 29.

[11] Don W. Thomson. L’Homme et les méridiens, histoire de l’arpentage et de la cartographie au Canada. Vol. 2 de 1867 à 1917. Ottawa, Information Canada, 1973, p. 68.

[12] Yves Hébert. Montmagny et la Côte-du-Sud. Québec, Les Éditions GID, 2005, (Collection  Les Bâtisseurs), p. 70.

[13] Pierre-Georges Roy, La famille Taché. Lévis, s.éd., 1904, p. 72.

[14] BANQ. Cartothèque. Alexandre-Michel Taché et Joseph Obalski. Carte des régions aurifères de la Province de Québec. 1898.

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