La conférence sur les cycles biologiques de Matamec en 1931 

La rivière Matamec, Source: Wikipedia

Note: Vous devez mentionner la source si vous citez une partie du texte dans les médias ou ailleurs. (Copyright: Yves Hébert).

Le 26 mai 1931, la nouvelle d’une rencontre scientifique internationale devant se tenir sur la propriété de Copley Amory (1866-1960) sur la Côte-Nord près de l’embouchure de la rivière Matamec fait la une du journal La Presse. Le ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries Hector Laferté annonce avec fierté qu’elle réunira des chercheurs de plusieurs pays. Ils s’intéresseront notamment aux « possibilités de développement des ressources naturelles de la Côte-Nord ». Comment expliquer la tenue d’un tel événement dans un ancien poste de traite de la compagnie d’Hudson en plein territoire Innu ? Et qui est Copley Amory ?

La création d’un centre de recherche sur la faune et la flore régionale

Copley Amory s’intéresse très tôt au potentiel de la pêche dans le secteur de l’embouchure de la rivière Matamek. Vers 1912, il fait l’acquisition d’une propriété appartenant à la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) et rénove un bâtiment ayant servi comme poste de traite pour en faire une résidence d’été[1].  

Fils du médecin Copley Amory (1841-1879) et de Catherine E. Chace (1841-1871), Copley Amory est un architecte diplômé d’Harvard (1888) qui s’établit à Milton, non loin de Boston. Il épouse l’année suivante Mary Russell qui lui donne quatre fils. Peu de temps après l’achat de la propriété, il fait une tentative dans le secteur de la construction navale à l’embouchure de la Matamek et engage des habitants des environs de la rivière Moisie. L’entreprise, la Matamek Factory, est à l’origine d’un petit hameau qui prendra plus tard le nom de Matamec. Mais avec les années, elle deviendra une station privée de pêche au saumon et à la truite.

Ce n’est pas un hasard si Copley Amory se passionne pour l’histoire naturelle et à l’environnement de la rivière Matamec. Ce territoire possède un écosystème exceptionnel tant pour sa faune marine que terrestre.  S’intéressant à l’avifaune, il commence à entretenir des liens avec quelques scientifiques. En 1923, il invite à Matamec l’ornithologue associé au musée de Zoologie comparative de l’université Harvard Frederic Hedge Kennard (1865-1937). Spécialiste des oiseaux migrateurs, celui-ci est l’auteur d’un livre de vulgarisation sur les oiseaux des villes de l’Amérique du Nord, publié par la National Geographic Society en 1914. Il est possible que des relevés ornithologiques aient été faits par cet ornithologue. Toutefois, nous n’avons pas retrouvé de traces de tels documents.

Dans les années suivantes, Amory réussit à attirer d’autres scientifiques à Matamec. En juin 1927, la visite du conservateur du musée Smithsonian Paul Bartsch permet d’amorcer un inventaire floristique et faunique de la région. Paul Bowman de l’université George Washington et son épouse se joignent à lui jusqu’en septembre pour la poursuite des travaux. Copley Amorey en profite pour constituer un véritable laboratoire pour l’étude de la faune et de la flore marine[2].   Il engage pour un mois le spécialiste des invertébrés marin du Smithsonian, James O. Maloney qui accepte de réaliser un répertoire faunique des environs de la rivière Matamec.

À l’époque, il faut le dire, la biologie marine est le parent pauvre de la recherche scientifique au Québec. Des avancées énormes sont faites dans le domaine de la botanique et de la floristique avec le Frère Marie Victorin. Georges Préfontaine, qui travaille au laboratoire de biologie de l’Université de Montréal est l’un des rares à s’intéresser à ce domaine, mais pour l’estuaire du Saint-Laurent [3].

À Matamec, Amorey constate la rareté de la faune pour certaines années et remarque que cette diminution a un impact négatif sur la population innue. Pour d’autres années, la faune terrestre et marine est abondante et il se questionne sur les raisons de ces variations. C’est cette prise de conscience qui le motivera à organiser une conférence internationale sur les cycles biologiques.

L’idée de réaliser une telle conférence germe déjà en 1929. Afin d’attirer les chercheurs européens à Matamec, Amorey se rend l’année suivante au siège social de la Compagnie de la Baie d’Hudson à Londres pour être conseillé et pour trouver des collaborateurs. On l’invite à rencontrer le biologiste Charles Sutherland Elton professeur de biologie et chercheur à l’université d’Oxford[4].

Charles S. Elton est l’un des biologistes anglais les plus respectés à l’époque. Il vient tout juste de publier un ouvrage fondamental, Animal Ecology, lequel aconnu plusieurs éditions. On considère aujourd’hui ce biologiste comme l’un des pionniers de l’écologie animale. Comme il s’intéresse depuis un certain temps aux fluctuations de la population des mammifères dans le Nord canadien, le projet du naturaliste Copley Amorey ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Il y voit une occasion d’établir des liens avec d’autres scientifiques canadiens et américains avec qui il communique seulement par correspondance.

Les scientifiques à Matamec

Regrouper une trentaine de scientifiques sur la Côte-Nord représente un défi logistique important. C’est à partir de Washington (DC) que Copley Amory organise la rencontre; le bureau principal de la conférence se trouvant sur Q Street. Il prévoit réaliser l’événement en deux étapes. La première à Québec plutôt brève. La seconde à Matamek Factory pour une durée d’une semaine. Certains doutent de la réussite d’un tel projet, mais le tout fonctionne plutôt bien grâce entre autres à la collaboration des gouvernements du Québec et du Canada.

Le gouvernement du Québec représenté par le ministre Hector Laferté accueille donc les participants de la conférence, à Québec, le 22 juillet 1931. Après une visite des attraits de la ville, les scientifiques sont conviés à un repas du midi à la maison Kent, laquelle surplombe les chutes Montmorency[5].  L’occasion sera parfaite pour vanter l’initiative de Copley Amory devant les journalistes du New York Times et des grands quotidiens montréalais et québécois. L’événement fait la une le lendemain dans le journal Le Soleil.

Sur les 28 conférenciers inscrits à la conférence, 22 se retrouvent à Matamek Factory pour échanger leurs points de vue sur certaines hypothèses et problématiques relatives aux cycles biologiques[6]. Les scientifiques proviennent de diverses disciplines. On y rencontre des biologistes, des entomologistes, des forestiers, un météorologue et même un romancier américain. Les conférenciers s’intéressent à la faune terrestre, à l’avifaune, à la faune marine et au couvert forestier. Copley Amory intègre également des familles innues à la conférence puisqu’il accorde une importance à leurs connaissances du territoire et de la faune. Les discussions et les présentations se déroulent autour d’une grande table en pin de huit pieds de longueur construite spécialement pour l’événement par Amory.  

Parmi les personnes présentes, plusieurs deviendront des figures importantes dans les secteurs de la zoologie, de la biologie et de l’ornithologie. Certains auront des carrières au parcours controversé. On remarquera l’absence du biologiste de l’université de Montréal George Préfontaine qui aurait pu se joindre à l’événement. Le fait qu’il est en train de constituer la Station biologique du Saint-Laurent à Trois-Pistoles explique sans doute son absence.

Les participants à la conférence de Matamec

Source: Wikipedia

Rudolph Martin Anderson (1876-1961), zoologue, chef de la section biologie au Musée national Canadien et explorateur de l’Arctique canadien.

Harold Elmer Anthony (1890-1970), zoologiste et paléontologue, Musée américain d’histoire naturelle, New-York.

David Lawrence Belding, professeur de pathologie et bactériologie, école de Médecine de l’Université de Boston.

William Reid Blair (1875-1949), professeur de pathologie comparative, Université de New York et directeur du zoo Bronx de New York et conservationniste.

Source: Wikipedia

Thorntorn Waldo Burgess (1874-1965), conservationniste, écrivain, littérature pour enfants et naturaliste.

Donald Ron Cameron, Directeur associé du Service forestier, gouvernement du Canada.

Source: Wikipedia

Charles Camsell (1876-1958), ministre des Mines, gouvernement du Canada et président de la Société royale du Canada et géologue. Il contribue à la création de la Foundation for the study of cycles.

Aurel Macedon Comsia, de Montréal, étudiant gradué de l’école forestière Shemnitz en Hongrie.

Ralph Emerson Demury, aide-directeur, observatoire du Dominion, Ottawa. Connue pour sa théorie controversée sur les liens entre les taches solaires, la température et les fluctuations des récoltes en grain.

John Richardson Dymond (1881-1956), professeur de zoologie et de biologie systématique, Université de Toronto. Associé au Royal Ontario Museum et conservationniste de la nature.

Hermann A. Eidmann, professeur de zoologie, spécialiste d’entomologie, Allemagne. Comme plusieurs professeurs, il a signé son allégeance à Adolf Hitler en 1933. Son manuel d’entomologie a été au programme durant 30 ans en Allemagne.

Source: Wikipedia

Charles Sutherland Elton (1900-1991), biologiste et écologue, directeur du Bureau of animal Ecology, Université Oxford. Il est considéré comme l’un des pionniers de l’écologie en Angleterre.

Robert Glading Green (1895-1947), professeur de bactériologie et d’immunologie, Minnesota University.

Alfred Otto Gross (1883-1970), professeur de biologie et ornithologue, College Bowdoin, Brunswick, (Minnesota), participe à deux expéditions dans l’Arctique canadien avec David MacMillan.

Source: Wikipedia

Ellsworth Huntington (1876-1947), géographe américain, très connu pour ses études sur le climat et ses effets sur les civilisations. Adopte les approches controversées du déterminisme environnemental et soutient les théories eugénistes à titre de président de l’American Eugenics society de 1934 à 1938. Aujourd’hui cette approche est fort contestée et considérée comme raciste.

Source: https://www.huntsmanaward.org/AGHuntsman.htm

Archibald Gowanlock Huntsman (1883-1973), professeur de biologie marine et océanographe Université de Toronto. Considéré comme l’un des pionniers de la biologie des pêcheries au Canada.

Aldo Leopold avec carquois et arc assis sur le rimrock au-dessus du Rio Gavilan dans le nord du Mexique lors d'un voyage de chasse à l'arc en 1938. Source: WikiCommons

Aldo Leopold (1887-1948), forestier, écologue, écologiste et écrivain, considéré comme l’un des pionniers de la gestion et de la protection de la nature aux États-Unis. Auteur d’un classique: L’Almanach d’un comté des sables.

Harry MacDonald Kyle (1872-1951), Spécialiste en biologie marine, Glasgow, Écosse. Linguiste et traducteur, spécialiste de l’ichtyologie. Collaborateur au Musée d’histoire naturelle de Hambourg.

Source: http://www.harrisonlewiscentre.org/about-us

Harrison Flint Lewis (1893-1974), ornithologue, chef de la section des oiseaux migrateurs pour l’Ontario et le Québec, service canadien des parcs à Ottawa de 1920 à 1943 et chef du Service canadien de la faune de 1947 à 1952.

Hans Mayer Wegelin (1897-1983), Il dirige en Allemagne l’Office national des forêts à Witzenhausen. Sa contribution est appréciable dans le secteur de la gestion de la forêt. Comme plusieurs autres scientifiques allemands, il a prêté allégeance au gouvernement d’Adolph Hitler en 1933.

Earle Bernard Phelps (1876-1953), chimiste, bactériologiste, professeur, collège des médecins et chirurgiens, Université de Columbia. Il apporte une contribution majeure aux États-Unis dans le secteur de la désinfection des eaux et du contrôle des mollusques.

William Rowan (1891-1957), professeur de zoologie et éthologue, Université d’Alberta. Ses travaux ont porté sur l’influence de la lumière sur la migration des oiseaux. Son illustration de la grue blanche sera utilisée par le service canadien des postes pour l’émission d’un timbre de cinq sous.

Source: Wikipedia

Charles Haskins Townsend (1859-1944), zoologiste, directeur de l’aquarium de New York de 1902 à 1937.

Les grandes conclusions de la conférence

Que doit-on retenir de cette conférence sur les cycles biologiques ? Celle-ci devait essentiellement porter sur le cycle de 11 ans des taches solaires et de son influence sur les populations animales. Étonnamment, les scientifiques se sont surtout intéressés à des cycles plus courts de quatre, neuf et dix ans. Remarquons que les variations de populations des petits mammifères sont reconnues depuis longtemps[7]. Elles sont en lien avec la présence ou non de prédateurs et influencées par d’autres facteurs environnementaux. Lors de la conférence de Matamec, la plupart des participants exposent les résultats de leurs recherches sur certains cycles biologiques. Mentionnons les découvertes des biologistes Phelps et Belding sur le cycle de la population du saumon dans la rivière Restigouche au Nouveau-Brunswick.

Tous s’entendent pour dire que les causes des cycles sont de nature biologique (reproduction maladie), astronomique (taches solaires) et météorologique. Mais ce sont les causes biologiques qui attirent le plus l’attention. En se basant sur le nombre de peaux arrivant dans les postes de la compagnie d’Hudson, Charles S. Elton montre qu’il existe un lien important entre les populations de petits mammifères et celle des prédateurs. L’accès à la nourriture pour la faune marine est également discuté de même que l’influence des pêcheries sur la population de certains poissons. Certains chercheurs mettent l’accent sur les variations de la reproduction des espèces. D’autres sur les épizooties et la présence des parasites. Enfin, les chercheurs n’hésitent pas à affirmer que les variations climatiques ont une influence majeure sur les populations animales.

La conférence de Matamec se conclut par une discussion sur la conservation des ressources naturelles. L’ornithologue Harrison Flint Lewis démontre l’importance de créer des refuges d’oiseaux. Pour sa part, le chef de la section biologie au Musée national Canadien Rudolph. M. Anderson du Musée affirme qu’il est important de constituer des collections d’histoire naturelle à des fins de recherche. Bref, tous s’entendent pour dire que la conservation des ressources est essentielle, mais dans une limite respectable. Le concept de conservation de la nature n’est pas nouveau à l’époque. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, plusieurs ont sonné l’alarme pour réglementer les coupes forestières, la chasse et la pêche[8].

Au terme de la rencontre de Matamec, Charles Elton a reçu la tâche de relire les transcriptions des conférences, près de 300 000 mots, de couper le texte et de finaliser un rapport complet sur l’événement. Le tout, accompagné d’un résumé de l’événement rédigé par Ellsworth Huntington[9].  Édité par la Matamek Factory, le document fait 200 pages et son tirage est limité. On le retrouve dans certaines bibliothèques et sur Internet[10]. La lecture de ce document permet de cerner tout un pan de la culture scientifique des années 1930.

William Rowan et Charles Elton à la conférence de Matamec, Source:University of Wisconsin–Madison Archives.

La conférence d’Harrison Flint Lewis

Parmi les conférences présentées à Matamec, l’une d’elles mérite une attention particulière, celle de l’ornithologue Harrison Flint. Lewis sur l’avifaune de la Côte-Nord.  Celui-ci montre qu’il est difficile d’étudier les fluctuations de population des oiseaux, puisque les données sont manquantes à ce sujet. Il souligne par ailleurs l’initiative du gouvernement canadien avec l’appui du gouvernement du Québec d’avoir constitué en 1925 dix sanctuaires d’oiseaux en milieu insulaire le long de la Côte-Nord. Ces sanctuaires, dit-il, ont permis de repérer et de comprendre les zones de nidification de plusieurs espèces d’oiseaux de mer et de rivage tels que le Pluvier semi-palmé, l’Eider à duvet et le petit Pingouin. Harrison s’intéresse notamment à la colonie de cormorans de l’île du Lac près du cap Whittle.

Durant la discussion, il montre que plusieurs oiseaux tels que le guillemot de Troil ont fait l’objet d’un pillage pour leurs œufs durant tout le XIXe siècle. Relatant l’histoire de ce pillage, il ajoute que la fréquence de cet oiseau a diminué depuis la visite, dans la région, du naturaliste John-James Audubon en 1833. A l’époque Audubon constata avec effroi le pillage des œufs d’oiseaux et prit conscience, pour l’une des rares fois de sa carrière, de l’importance de préserver les oiseaux de mer et de rivage[11].

Ajoutons que Harrison Flint Lewis est considéré commel’undes pionniers de l’ornithologie scientifique au Québec et dans les provinces maritimes. Il a donné son nom au Harrison Lewis Coastal Discovery Centre, situé à East Port L’Hébert en Nouvelle-Écosse.

Aldo Leopold et d’autres conférenciers à Matamec, University of Wisconsin–Madison. Archives : Series 3/1, Box 83, Folder 5 (1931)

Le récit de voyage de Thorntorn Waldo Burgess

Les témoignages ou récits de voyage relatifs à la conférence de Matamec semblent peu nombreux. L’un des rares nous parvient du conservationniste et romancier pour enfants Thorntorn Waldo Burgess. C’est avec humour qu’il raconte son passage à Matamec. Dans son autobiographie, il décrit une partie de son expédition ornithologique à Harrington Harbour et à l’île Sainte-Marie en compagnie du docteur Gross, puis son passage à Matamec qui, dit-il plus bas, l’a plutôt embarrassé.

I did not belong in that galaxy of mental giants. Most assuredly I did not belong. But I was there. I was there on sufferance, feeling small, insignificant, wholly out of place and character[12].

Chaleureusement accueilli par Copley Amory et les conférenciers, c’est avec un mélange de crainte et de plaisir qu’il accepte à la fin de l’événement de conter une histoire pour s’endormir à tous ces scientifiques. Ajoutons qu’aux États-Unis, Burgess est considéré comme une figure de proue en littérature pour enfants. On peut lire son récit de voyage dans l’autobiographie qu’il a publié en 1960  [13]. A titre de conservationniste il a donné son nom à la Thortorn Burgess Society basée à Sandwich au Massachusetts et dont la mission est de promouvoir la protection de la nature.

Les retombées

Il est difficile d’évaluer les retombées de la conférence Matamek. Il est certain que cette conférence a permis de faire connaître la biodiversité de ce secteur de la Côte-Nord. Les scientifiques ont tous apprécié cette occasion d’échanger sur les résultats de leurs recherches dans un cadre naturel exceptionnel. Le conservationniste Aldo Leopold affirme que cette rencontre fut mémorable[14].  Le biologiste Charles Elton la considère comme exceptionnelle et selon, lui Copley Amory est un visionnaire[15]. C’est cette conférence qui lui a permis de justifier et de fonder à Oxford en 1932 son centre de recherche, le Bureau of Animal population[16]. Dans les années suivantes, ce bureau s’orientera entre autres sur l’étude de la population de la faune dans certains territoires canadiens comme celui du Labrador.

La conférence de Matamec a inspiré les scientifiques à poursuivre leurs travaux de diverses façons. L’économiste Edward R. Dewey a contribué à créer une fondation pour l’étude des cycles à partir du comité permanent de la conférence de Matamek. La Foundation for the study of cycles fut alors constituée en 1941 et elle a élargi ses champs de recherche en y incluant le secteur de l’économie. Établie à Floyd en Virginie, cette fondation existe toujours[17].

Pour sa part, Copley Amory va poursuivre pour quelque temps ses recherches. En juin 1933, il soumet un rapport au ministre Laferté pour créer un organisme international sur l’étude des pêcheries, mais sans succès apparent. La même année, éprouvant des difficultés financières, il décide de cesser ses activités de recherche et de pêche à Matamec. Prêt à céder toutes ses installations, il les offre alors à l’Université de Montréal et à l’Université Laval. Mais ces institutions déclinent l’offre. Amory délaisse donc sa propriété qui est alors acquise par Stella Bernatchez. Son mari Wilfrid Galienne et son fils Donald y exploiteront un club de pêche jusqu’en 1966[18]. Copley Amory est décédé à Cambridge dans le Massachusetts le 10 avril 1960. Avant sa mort, il aurait cédé une partie de ses collections d’histoire naturelle au Musée national d’histoire naturelle (États-Unis).

Conclusion

Si la conférence de Matamec a suscité beaucoup d’intérêt au début des années 1930, elle n’a pas eu de grandes répercussions dans la communauté scientifique. Elle a permis de créer des liens entre les scientifiques, mais surtout de faire connaître la biodiversité de ce secteur de la Côte-Nord. Ce n’est pas un hasard si le volet recherche s’est perpétué dans les années suivantes avec la présence du Woods Hole Oceanographic Institute entre 1966 et 1985. Par ailleurs la constitution, en 1995, d’une réserve écologique dans la partie sud du bassin versant de la rivière Matamec marque la reconnaissance de ce territoire riche en biodiversité. La Corporation Amory-Galienne a d’ailleurs été formée pour promouvoir la préservation de ce territoire.

Cet article a été publié pour la première fois dans la Revue d’histoire de la Côte-Nord, no 71-72 (juin 2021).

Copyright Yves Hébert.


[1]  André Delisle, Matamek, toward an uncertain future, Oceanus, the international magazine of marine science and policy. (Woods Hole Oceanographic Institute), vol. 30, no 3 (1987), p. 78-83.

[2] Smithsonian Institution, United States National Museum, Report on the progress and condition of the United States National Museum, for the year ended June 30, 1928, Washington, 1928, p. 14, 55.

[3] Luc Chartrand, Raymond Duchesne et Yves Gingras, Histoire des sciences au Québec, Montréal, Boréal, 1987, p. 322.

[4] Peter Crowcroft, Elton’s Ecologists. A History of the Bureau of Animal Population, Chicago, University of Chicago Press, 1991, p. 11 (En ligne sur Google-Books).

[5] Le Soleil, 23 juillet 1931

[6] Ellsworth Huntington, Matamek Conference on biological cycles, full proceedings, Matamek Factory, Canadian Labrador, 1932. En ligne: books.google.ca

[7] https://recherchespolaires.inist.fr/?Coup-de-soleil-sur-la-faune

[8] Yves Hébert, Histoire de l’écologie au Québec, Québec, Les Éditions GID, 2006, p.364-412.

[9] Peter Crowcroft, Elton’s Ecologists… p. 12.

[10]https://books.google.ca/books?id=Q2MQAQAAMAAJ&pg=PP31&dq=copley+amory+matamek&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjj5L-ep5ntAhWkuVkKHUtCD7oQ6AEwBHoECAIQAg#v=onepage&q=copley%20amory%20matamek&f=false

[11] Yves Hébert, « John James Audubon au Québec », Nature Sauvage, (été 2017), p. 20.

[12] Thorntorn Waldo Burgess, Now I Remember: Autobiography of an Amateur Naturalist, Little, Brown and Company, 1960, 187 pages. Version en ligne: https://www.fadedpage.com/showbook.php?pid=20191121

[13] http://www.thorntonburgess.org/About-Us

[14] Curt Meine, Aldo Leopold, His life and work, University of Wisconsin Press, 1988, p. 283.

[15] Geoffrey J. Martin, American Geography and geographies, toward geographical science, Oxford,Oxford University Press 2015, p. 797.

[16] Peter Crowcroft, Elton’s Ecologists… p. 11.

[17] Voir : https://cycles.org/

[18] http://www.matamec.org/wp-content/uploads/2011/02/Panneau-Historique-CAGM-Web.pdf

Laisser un commentaire